"Anita, de Groix"

"Dans les temps de tromperie universelle, dire la vérité devient un acte révolutionnaire"

Le dramatique 14 juillet... 1696 à Groix

Publié le 18 juillet 2015 à 23:44 - 1ere mise en ligne le 13 juillet 2015

Sur le mur Est de la chapelle de Locmaria on peut encore lire de nos jours
« Les Anglais… juillet 1696 »
Dans l’histoire mouvementée de l’île la date du 14 juillet n’est pas celle festive de la fête nationale bien au contraire.

Le 14 juillet 1696, environ 100 ans avant la prise de la Bastille, eut lieu le plus important pillage de l’île. Son histoire reste encore vivace dans la mémoire insulaire plus particulièrement à Locmaria où la chapelle de Notre Dame de Placemanec fut ce jour là,incendiée et partiellement détruite.

Si cet événement a laissé des comptes rendus attestant la violence et l’importance de cette attaque, pour l’histoire des « Flamanked » qui suivit il reste aujourd’hui difficile de faire la part entre réalité et tradition en l’absence de toute trace écrite de l’époque.

Ces faits se sont déroulés pendant ce qu’on a appelé la « Guerre de la Ligue d’Augsbourg ». Cette guerre de 1688 à 1697 opposa la France de Louis XIV à une coalition des principaux états européens et surtout en ce qui concerne Groix, la flotte française aux flottes de l’Angleterre et de la Hollande , les trois puissances maritimes de l’époque.

Cette guerre fut surtout une guerre terrestre et Louis XIV assignat essentiellement à sa flotte le rôle de protection des côtes contre une invasion ennemie.

En 1692, la bataille navale de Barfleur suivie du désastre de La Hougue consacra pour des décennies la supériorité des anglais sur mer.

La guerre de course où les corsaires français comme Jean Bart s’illustrèrent (Bataille de Texel en 1794) permit néanmoins à la France de gêner considérablement les flottes ennemies.

En Bretagne sud, l’ennemi avait pour mission, outre le blocus de côtes la possession de Brest, Port-Louis et surtout Belle –Ile.

Ces trois places étaient protégées par des fortifications qui vouaient quasiment toute tentative à l’échec et il a fallut attendre 1761 pour que les anglais arrivent à s’emparer de Belle Île.

Quant à Groix, comme à une moindre échelle Houât et Hoëdic, elle fut attaquées et pillées de nombreuses fois essentiellement pour s’emparer de « Rafraichissements »

Derrière ce mot se trouvait tout ce qui pouvait servir de vivre à bord (bétail, grains, eaux …) A cette époque, les vaisseaux de guerre qui avaient à bord, pour les plus importants jusqu’à un millier d’hommes devaient tenir la mer pendant de longs mois. A l’époque de la voile, les combats navals se déroulaient presque exclusivement de mars à octobre, à la belle saison .

Les escadres (de 25 à 90 vaisseaux) devaient donc emporter une quantité considérable de vivres et avait besoin très rapidement de pouvoir espérer du ravitaillement en provenance de leur pays et en plus, « pour améliorer l’ordinaire » ils n’hésitaient pas à se livrer au pillage.

L’île de Groix a été, pendant cette longue période qui ne s’acheva qu’en 1815, l’objet de multiples pillages ou tentatives.

En ce temps là , les flottes ennemies essentiellement Anglaises ou Hollandaises pouvaient à mouiller au milieu des coureaux sans risquer les boulets des canons de Port-Louis dont portée était insuffisante pour les atteindre. Il leur était donc facile de faire débarquer des troupes armées sur l’ile et ainsi de s’approvisionner en vivres frais ou en eau.

D’autre part, l’île était privée de moyens de défense conséquents par la volonté du pouvoir de ne pas tenter l’ennemi de s’emparer d’une place en face de l’Orient ce qui aurait pu gêner encore plus le commerce des Compagnies des Indes.

D’ailleurs sur les conseils de Versailles les groisillons de l’époque abandonnaient l’île à la belle saison pour aller avec une partie de leur bétail se réfugier sur la « grande terre »

Déjà en 1674 :

« C’est ainsi que le 1er septembre 1674, la flotte hollandaise composée de 44 vaisseaux vint mouiller dans les coureaux de Groix et tenta vainement de surprendre Port Louis ….. Son infanterie mit pied à terre à Groix pour piller l’île .La trouvant presque déserte, ils crurent que les sources avaient été empoisonnées .Par vengeance ,ils brulèrent plusieurs cabanes . Après quoi ils se saisirent de quelques canons abandonnés et emmenèrent 1000(sic) bœufs ou vaches qu’on avait bien imprudemment laissés dans leur pacages. »

Que s’est-il donc passé en juillet 1696 sur l’île de Groix ;

Le premier récit est écrit par le Recteur Uzel, curé de Groix depuis 1695 , qui relate les faits en quelques lignes :

« « L’an de grâce 1696 le 14 juillet , vers le soir , les Anglais et Hollandais mirent pied-à-terre dans l’îsle de Groix où ils ravagèrent, brûlèrent, pillèrent tant maisons que bestiaux et les églises furent brûlées, les cloches enlevées »

Le recteur ne signale aucun décès du à ce pillage (le registre des sépultures ne signale pas d’inhumation avant le 5 août.)

Sur une population totale de 1075 habitants on dénombrera pour cette année 1696 : 26 naissances, 25 décès et 8 mariages. Un certain nombre de familles étaient probablement réfugiées sur le continent.

De Port-Louis, il n’y eut aucune réaction ni intervention envisagée, la présence d’une partie de la flotte ennemie dissuadant toute intervention sur une île qu’on savait sans moyens de défense et peu habitée à cette période de l’année.

« En juillet1696, l’île de Groix fut à nouveau pillée : les Anglais et les Hollandais enlevèrent grains et bestiaux, brûlèrent les maisons, détruisant notamment la chapelle Notre –Dame de Plasmanec à Locmaria »

Josias Buchett (1666-1746) Secrétaire de l’Amirauté anglaise écrit dans « Mémoire de tout ce qui s’est passé de considérable sur mer durant la guerre avec la France depuis l’an 1688 jusqu’à la fin de 1697 »

« Le 4 juillet de 1694 la Flotte jeta l’ancre à deux lieues de Belle-Ile .on avait débarqué auparavant quelques uns de nos gens à Groy, où ils brulèrent la plus grande partie des villages, tuèrent et amenèrent quantité de bestiaux sans la moindre résistance car les habitants avaient abandonné l’ile……Le lendemain, le « KENT »,la « BOYNE » et le « TORBAY », deux vaisseaux de guerre Hollandais et les longs bateaux de la Division de l’Amiral furent envoyés à Groy ,où 700 soldats des Gardes Marines ayant mis à terre, ils achevèrent ce qui avait été commencé en brûlant près de 20 villages …..il n’y avait aucune fortification dans l’île de Groy…. »

Vu de Versailles

Les destructions de Groix n’attirent pas l’attention du ministre de la marine M. de Ponchartrain qui se réjouit simplement que Port-Louis et l’Orient aient été épargné.

Le « Mercure galant ,un des premiers journaux français crée en 1672 ironise ces destructions et ridiculise la flotte anglaise en ces termes :

Dans le « Mercure Galant » en Juillet 1696.(BNF. Gallica)

Ce qui s’est réellement passé se trouve peut-être sous le numéro 6 E 4140 Kerviche des Archives Départementales du Morbihan retrouvé par Jo Le Port. Les « minutes » pour les années 1680-1713 du notaire de Port-Louis Jean Kerviche (1642-1714) ont été conservées.

Voici (partiellement transcrit pour en faciliter la lecture ) l’acte signé le 6 août 1696.

« Le sixième jour d’aout mille six cent quatre vingt seize, devant nous Notaires Royaux héréditaires de la Sénéchaussée Royale de Hennebont a personnellement comparu Noble Homme Charles CHIRON, marchand et fermier du prieuré de saint Gousiarne (Saint Gunthiern près de Kerohet) en l’ile de Groix demeurant en cette ville de Port -Louis, paroisse de Riantec, évêché de Vannes, lequel sur l’information qu’il a eu du grand désordre et des dommages faits en la dite île par les Anglais et Hollandais, ennemis de l’Etat en une descente qu’ils y auraient fait (vers le mois de ?) .Il nous a requis de nous transporter en sa compagnie jusqu’aux villages de Kerohet de Locmaria et du Méné en la dite île. Ce 6 aout à environ dix heures du matin nous y avons trouvés les ci-après nommés (suivent les noms de 20 personnes de Locmaria, 7 de Kerohet, 5 du Méné et 2 de Kerampoulo.)

Tous sujets et tenanciers du dit prieuré ainsi qu’ils nous l’ont tous déclarés .Nous leurs avons dit que le sieur Chiron est venu exprès en la dite île de Groix pour recueillir et avoir d’eux les dîmes et autres rentes qu’ils payent annuellement au dit prieuré et demandés s’ils étaient en état de le faire. Après les avoir plusieurs fois sommés ils nous ont tous déclaré qu’il leur était impossible de payer. il ne leur reste plus ni maison , cheval ,harnais, vaches, moutons, hardes, meubles , tout a été pillé, brûlé emporté coupé manger par le bétail que l’ennemi avait mis exprès dans les blés et enfin ils n’ont comme habits que ce qu’ils avaient sur eux en se sauvant sur la grande terre. Nous ayant montré ce désastre nous avons pu voir l’image (statue) du bienheureux Saint Gouziarne qui a été coupée par moitié d’un coup de hache La chapelle du prieuré brulée à l’intérieur.la chapelle de Locmaria entièrement brulée. Leurs chevaux, vaches et moutons qu’ils n’ont pu emmenés ou apportés tués et étendus morts sur tous les chemins . Les blés coupés mangés, foulés, les ennemis passant et repassant au travers comme en un grand chemin. S’ils ont aujourd’hui des chevaux pour charroyer la paille ce sont ceux qu’ils ont fait revenir de la grande terre .

Les notaires ont pris acte de ces déclarations pour servir comme il lui appartiendra au sieur Chiron.

Un seul d’entre eux savait signé un nommé : Legouzron

L’acte est aussi signée de Chiron et des notaires royaux Lescuyer et Michet.

Charles CHIRON était un riche bourgeois de Port-Louis, marchand et maitre de barque. Il avait affermé les terres du prieuré de Saint Gunthiern cette année là au profit de l’Abbaye Sainte Croix de Quimperlé qui possédait des biens sur l’île. Il avait acheté la charge de venir percevoir pour l’abbaye la dîme, impôt essentiellement sous forme de blé en gerbe ou en grains mais aussi en poissons ou en miel

Ce document ne décrit que la partie de l’île appartenant au prieuré toute située à l’est à Primiture et on ne sait rien des exactions qui ont pu être commises à Piwizi.

A la lecture de ce texte il semble bien que la descente des Anglais sur l’île le 14 juillet 1696 ait été pour Groix une des plus meurtière sinon la plus meutrière de ce qu’on a appelé plus tard la guerre de 100 ans sur mer.

Que ce soit sur mer ou sur l’île, Groix et les groisillons en ont payé un très lourd tribut.

Groix le 12 juillet 2015 J.C Le Corre

Principales sources :

Jo Le Port pour ses recherches si précieuse dans le passé oublié de Groix.

Enguerrand Gourong pour son Histoire de l’île de Groix et de sa famille

Vie et société au Port-Louis de H.F. Buffet

BNF Gallica .

A suivre « Les Flamenked » et la chapelle de Locmaria.

Commentaires :

  • je suis hors sujet, mais merci a Jo Le Port et J.C Le Corre pour leurs recherches :
    impôt essentiellement sous forme de blé en gerbe ou en grains mais aussi en poissons ou en miel .
    1696 plus vieille trace de la présence d’abeilles noires sur l’Île de Groix ?
    A l’époque il n’y avait que de l’abeille noire en Bretagne.
    Quelqu’un a t’il autres traces ?
    christian

  • Merci pour ce riche historique ;)
    Pierre.

  • En 1540, il est fait mention de " tollon de mielle près le commun de K/branguen ".

    En 1636, " un plein pertuis de miel qui est dans un roc au village inhabité de K/vranguen " ainsi qu’en 1681 et 1683. Cette chef rente était due dès 1388 sur ce village au prieur de St Michel des Montagnes en Ploemeur qui dépendait de l"abbaye Ste Croix de Quimperlé.

    Le village de Kerbranken fait partie d’une donation à l’abbaye Ste Croix de Quimperlé vers 1120.

    Il était situé entre le Kerigant actuel qui apparait en 1411 ( K/hugant ) et le Trou de l’Enfer.

    Le cadastre de 1837 mentionne toujours Mez Cavrangui, Lann Cavrangui, et Stang Fetan Cavrangui ( vallon de la fontaine de Cavrangui ) devenu après 1955 vallon de Ker Béthanie

    Sources :
    Toponymie bretonne et patrimoine linguistique. J.Y Plourin-P. Hollocou

    A. D Morbihan

    Jo LE PORT

  • Vous êtes trop forts, les gars !........................................... Elizabeth

  • OUI ; quelques talents qui auraient bien leur place dans les structures officielles !
    AM

  • Que dites vous.......il est trop tôt pour les mettre au musée......
    Ils ont encore beaucoup de savoir à partager.
    Ah si ils pouvaient faire vivre l’écomusée.....l’intérêt culturel serait grand..........
    Gaêle

  • c’est bien à cela que je pensais ... ce serait un bon moyen d’attirer enfin nos concitoyens dans un écomusée digne de ce nom.
    AM

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