"Anita, de Groix"

"Dans les temps de tromperie universelle, dire la vérité devient un acte révolutionnaire"

Histoire de « la Pierre Blanche » de St Nicolas

Publié le 21 octobre 2017 à 00:02

Sur la côte sauvage, entre Pen Men et Saint Nicolas, se dresse une grande balise qui vient d’être restaurée par une équipe de la commune à la demande du Conservatoire du Littoral.
Elle prend le nom de « Pierre Blanche » sur des cartes touristiques, et plus souvent dans l’île, on parle tout simplement de l’amer de Saint Nicolas.
Quant à son origine, elle est généralement inconnue. Tout au plus attribue-t-on sa construction à « la Marine »
Quand, pourquoi et par qui, nous allons essayer de répondre à ces questions.

Cette histoire commence en 1909 dans les bureaux de l’Amirauté à Lorient.
Cette année là, la Marine met en chantier une série de six nouveaux modèles de cuirassés, la classe « Danton ». Ces navires de 20 000 tonnes pour un équipage de 920 hommes, possédaient un armement dix fois supérieur à celui des Allemands à Moustéro en 1944 !
D’après les conditions des marchés imposés pour ces nouveaux mastodontes, les essais de vitesse devaient s’effectuer sur une base d’une profondeur d’au moins 50 mètres.
Mais comme aucune des bases de vitesse en service à cette époque sur les côtes Ouest et Nord de France ne présentaient une pareille profondeur, il fallut trouver à proximité des ports de construction et d’armement un emplacement pour une nouvelle base.

_ Le choix se porta sur l’espace compris entre les îles de Groix et des Glénans. Des études en mer et sur les îles furent entreprises dès novembre 1909.

Au cours de plusieurs sorties de reconnaissance on constata qu’il existait des fonds de 50 mètres et plus sur une ligne joignant le fort Cigogne à l’ancien signal géodésique de la pointe de l’Enfer. Mais ce signal ayant disparu on proposa de le remplacer par une grande maison située sur le point culminant de Groix (sic !) au village de Kerigant. A partir de cette maison, on fit poser sur la falaise de Saint. Nicolas un signal définissant un alignement qui devait coïncider avec celui du saillant sud du fort Cigogne par la butte de l’île Guiautec .

En juillet 1910 la direction longitudinale de la base fut confirmée et on décida d’élever sur le fort Cigogne et Guiautec d’un côté, sur la falaise de St. Nicolas et à Kerigant de l’autre, des balises définissant rigoureusement la route à suivre dans les deux sens.
La construction de signaux provisoires de dimension suffisante pour permettre l’utilisation immédiate de la base sans attendre l’érection des signaux définitifs fut décidée aussitôt.
Des alignements de recoupement furent installés à partir de Doelan et Kerfany délimitant ainsi une zone de Vitesse de 8052 mètres soit 4 milles 346.

Le rapport final de l’établissement de cette nouvelle base se termine par le paragraphe suivant :
« La commission demande enfin que des instructions très précises et très sévères soient adressées d’urgence aux autorités civiles et maritimes des localités sur le territoire desquelles ont été élevés les signaux provisoires de la nouvelle base, de manière à protéger ces signaux contre toute détérioration de la part des habitants des dites localités ou des localités voisines »
Lorient, 30juillet 1910.
(Ces installations provisoires étaient très volumineuses et construites EN BOIS !! denrée rare et très recherchée, à l’époque, sur les îles concernées !)

On construisit très rapidement des balises en maçonnerie puisqu’en décembre 1911 un rapport parle de la réfection de l’amer de St Nicolas :
Rapport du 9 février 1912
« L’amer de St Nicolas à Groix, construit en maçonnerie de moellons avec contreforts a été démoli presque totalement par la tempête du 21 décembre 1911 ; il ne reste plus en place que la partie inférieure qui est lézardée en plusieurs endroits et qui ne peut plus servir… Un amer de fortune a été installé.
Une reconstruction est décidée au même emplacement avec les mêmes dimensions. L’amer sera construit en maçonnerie de moellons ordinaires avec mortier de chaux hydraulique…
Vu l’implantation de ce travail il ne peut être confié à l’entrepreneur d’entretien (de Lorient) aussi nous avons préparé, pour gagner du temps, un marché de gré à gré… Ce marché pourrait être communiqué aux entrepreneurs de Groix pour qu’ils nous fournissent leurs offres… »
Le prix du marché est augmenté de 15% pour tenir compte du fait que les travaux sont exécutés à Groix.

Deux entreprises de Groix sont susceptibles d’effectuer ce travail : Etesse et Roussin.
Ce dernier avait construit une balise provisoire à St Nicolas. Dans sa réponse à l’appel d’offre il précise : « J’ai l’honneur de vous faire savoir que je puis me charger de la réfection de l’amer de St Nicolas moyennent un rabais de 5% mais à condition que le délai de construction (1 mois) soit prolongé d’autant à cause de l’état lamentable de nos chemins… »

Le signal de Kerigant devait initialement être placé sur la maison Baron-Bernard (Pierre) mais il semble que ce projet n’ait pas abouti et que l’amer fut installé indépendamment de la maison.

Et la guerre arriva !

Le « Danton » à l’origine de la classe de cuirassés pour qui cette base de vitesse avait été crée fut coulé par l’U 64, un sous-marin allemand, le 19 mars 1917. Sa construction interne divisée en compartiments indépendants permis de sauver 800 des 1100 membres d’équipage et passagers, mais parmi les 300 disparus on trouve 3 Groisillons :
François Robic de Kerdurand
Théodule Vaillant de Kerdurand
Laurent Stéphant de Créhal
L’épave ne fut retrouvée qu’en 2007. Elle repose par 1000 mètres de fond à 35 kilomètres au sud-ouest de la Sardaigne.

La base de vitesse Groix-les Glenans ne refait parler d’elle qu’en 1925, quand l’Amirauté à Lorient décide de remettre les amers en état.
Le 5 mai dans un rapport de reconnaissance effectué sur la base on peut lire :
« Amers de Groix
On a pu voir la balise de St. Nicolas à partir du milieu de la base (en venant des Glénans). L’amer de Kerigant est très peu visible mais la masse des maisons devant lequel il est construit est très remarquable.
Il y aurait lieu de rafraichir la peinture de ces amers. Peut-être, si la configuration du terrain le permet, ne serait-il pas inutile de blanchir, sur la partie verticale de la falaise en avant de la balise de St. Nicolas, une bande blanche de 5 à 6 mètres de large située dans le plan vertical de l’alignement. »

Le 22 mai 1925 l’entreprise Etesse dans une correspondance au Directeur des travaux à Lorient écrit :
« Je suis allé hier visiter les travaux à exécuter et me suis rendu compte des difficultés d’exécution surtout en ce qui concerne St Nicolas : absence presque totale de route, difficultés d’approvisionnement en eau, sable, ciment etc… Déplacement d’ouvriers, échafaudages très importants peu en rapport avec l’importance des travaux… »
Aucune trace d’autres correspondances, mais les travaux furent exécutés.

A cette époque, une nouvelle classe de navire, des contre-torpilleurs sont en chantier et des essais doivent avoir lieu dès 1926.
Dans un rapport de cette année là son auteur écrit :
« Les balises de Groix ont, je le reconnais, l’inconvénient d’être assez peu visibles. Mais, la prise d’alignement et la tenue sur cet alignement est grandement facilité par la tache de chaux (6 mètres de large et 10 mètres de long !), très visible, qu’on a fait sur la falaise et par la maison la plus élevée de Kerigant. En fait, j’ai presque toujours pu suivre correctement cet alignement. »

La base de vitesse et l’amer de St. Nicolas restaient dans un anonymat total. Seuls quelques Groisillons de Kerlard ou Kerloret le voyait en venant chercher dans la lande de quoi alimenter le foyer familial ou faire brouter à leurs vaches le peu d’herbe qui poussait près des vieux dolmen de Men Cam et Men Yann.

Elle sortit de cet anonymat en 1929 par l’article suivant dans la Presse :

« Notre marine vient de remporter un nouveau et éclatant succès : le contre–torpilleur Verdun, de 2690 tonnes, commandé par le capitaine de vaisseau Richard, a atteint le 21 septembre, au cours de ses essais à toute puissance, sur la base des Glénans, la vitesse de 40 nœuds (74,431 km à l’heure)… Le Verdun est maintenant le navire le plus rapide des flottes de guerre et de commerce du monde.

Ces essais de vitesse ont lieu sur la base Groix-les Glénans.(A et B). Plusieurs parcours de la base sont effectués successivement en sens inverse. La vitesse est déterminée par la moyenne des vitesses mesurées à chaque parcours. La difficulté de l’exécution aux très grandes vitesses résulte du fait que, aux extrémités de la base il faut se retourner (cette expression est plus démonstrative que celle de virer) en décrivant une courbe (C et D) avec un très petit angle de barre, donc à très grand rayon de façon à troubler le moins possible le régime des machines. Or, à l’extrémité ouest (les Glenans) de la base la présence de nombreux « cailloux »rend cette giration extrêmement délicate.
D’autre part, sur la base elle-même, il importe essentiellement de suivre l’alignement de direction très exactement et en manoeuvrant la barre le moins possible, car même une très petite inclinaison du gouvernail suffit pour diminuer la vitesse. D’où l’importance capitale du rôle des « barreurs ». Le

succès dépend en grande partie de leur adresse, de leur calme et de la promptitude de leurs réflexes. Sur le Verdun, la sélection avait conduit à adopter, comme barreurs, un second-maître de manœuvre et un tout jeune matelot gabier se succédant toutes les demi-heures : deux as, d’âge et de grade très différents.

Cette base est de nouveau à l’honneur en 1935 quand une nouvelle classe de navires y fit ses essais, et que le destroyer « le Terrible » atteint la vitesse de 83,4 km/h (42 nœuds). Ce navire fut sabordé à Toulon le 27 septembre 1942. Renfloué après la guerre il sera démoli en Italie en 1948.
Elle revint à l’honneur quand en 1961, le paquebot « France » , au cours de son premier voyage entre St.Nazaire et Le Havre y effectua ses essais techniques de vitesse.

Aujourd’hui aux Glénans les deux amers de 1925 sont toujours en place.
Le fort Cigogne qui porte le grand amer circulaire avait été construit en 1756 mais n’a jamais été armé (d’ou son surnom de Fort Inutile). Il fut déclassé en 1889. Celui de l’île Gueotec est, paraît-il, très utile aux pêcheurs et aux plaisanciers mais plus aucune vache ne vient y brouter.
La Marine n’a plus utilisé ces bases, les progrès de la technique et surtout l’arrivée des GPS l’ayant rendue caduque. Elles furent reversées aux Domaines seulement en 1996.

Il y a quelques années la base en pierre de l’amer de Kerigant tomba sous les coups des démolisseurs. L’Amer de St.Nicolas est toujours là mais la « tache de chaux » a disparu ; Il vient néanmoins de retrouver sa jeunesse et ne sera plus dorénavant un mystère pour personne.

xxxxxxx
Pour apercevoir Les Glénans et l’amer du Fort Cigogne
Avoir une paire de jumelles
S’installer le dos au mur noir de l’amer
Repérer la petite marque blanche à environ 100 mètres.
Aligner les jumelles dessus cette marque
Normalement, selon la météo vous devriez voir à l’horizon le Fort Cigogne.
Bonne promenade à tous !

Un grand merci à Ludo et son équipe pour le travail acrobatique accompli.
Un grand merci aux habitantes de Kerigant qui ont retrouvé les photos de l’amer disparu.

Jc Le Corre Groix Octobre 2017

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