"Anita, de Groix"

"Dans les temps de tromperie universelle, dire la vérité devient un acte révolutionnaire"

A Groix, l’Océan pour écran géant

Publié le 10 août 2019 à 13:40

Raconter les îles et les îliens du monde entier, c’est le pari du Festival international du film insulaire de Groix. La montée des rochers se fait sans tapis rouge et on y va à la pêche aux trésors.
Partez avec nous (...) à Groix, où une poignée de cinéphiles allumés rend hommage aux habitants de l’archipel planétaire...

De la fenêtre grande ouverte du premier étage montent des plouf ! rafraîchissants et des éclats de rire d’enfants. Pas de quoi troubler la réunion qui se tient au même moment dans une bâtisse du quartier de Port-Lay, face au quai d’où plongent les marmots. En ce chaud mercredi de juillet, treize vaillants bénévoles du Festival international du film insulaire de Groix (Fifig), au large de Lorient, y sont réunis autour d’une cafetière fumante. L’heure est grave. Le Fifig, qui met cette année les îles chiliennes à l’honneur de sa programmation, commence le 21 août, mais il y a une urgence. Invités à inaugurer le festival, les musiciens du groupe de rock Amahiro n’ont toujours pas reçu la subvention du gouvernement chilien qui doit leur permettre de payer les billets d’avion et de jouer pour la première fois en dehors de leurs frontières. « Il n’est pas trop tard, mais j’ai quand même contacté d’autres artistes chiliens à Paris ou à Nantes », prévient Laurent, le programmateur musical, avant que l’équipe opte pour apposer la mention « sous réserve » au catalogue, qui doit partir à l’impression. Entre la restauration, la bande-annonce de l’événement, le collage d’affiches dans toute la Bretagne, la billetterie, la sécurité, l’ordre du jour est chargé.

L’organisation d’aujourd’hui n’a plus grand-chose à voir avec celle des débuts, il y a dix-huit ans. A l’origine du Fifig, il y a une bande de copains — la plupart toujours là — et la volonté de lancer un festival de cinéma inspiré du Livre insulaire, manifestation littéraire créée deux ans plus tôt sur l’île voisine d’Ouessant. Le premier à s’emballer pour l’idée est Jean-Luc Blain, ancien reporter radio à la voix chaleureuse et baroudeur passionné par la vie insulaire ; il incarnera le Fifig avec fougue, jusqu’à sa disparition, en 2013.

Première édition du Festival en 2001

En à peine quatre mois, la première édition du festival a vu le jour, « loin des tapis rouges et des culs-pincés », selon les mots de Jaja, bénévole historique. Montée « à l’arrache », elle donna lieu à des séquences mémorables. Comme cette porte de secours ouverte en une nuit à la disqueuse et à la masse pour satisfaire aux exigences d’une commission sécurité venue inspecter les lieux. Ou la projection de L’Ile au trésor sur un écran gonflable géant posé sur le sable de la plage de Locmaria… qui s’est soudainement dégonflé. La faute à un gamin, pris dans les fils électriques qui jonchaient le sol ! « On l’a remonté à la pompe, comme on a pu, mais évidemment ça ne tenait plus très bien, se remémore Gilbert Nexer, bénévole puis président du festival de 2003 à 2006. Mi-dépités, mi-amusés, on regardait l’écran remonter puis s’affaisser, et l’image mollir, sous les “Ooh” et les “Aah” ravis des spectateurs ! »

L’équipe a aussi pris des habitudes : chaque année, à Port-Lay, on ferme les volets de la magnifique maison blanche qui surplombe le port et dont la façade se mue en un écran de rêve pour les projections en plein air. Un festival sur une île, et qui parle des îles ? La promesse, insolite, est tenue : le Fifig est un « carrefour des îles du monde » qui témoigne de leur singularité et de leurs habitants à travers une programmation de films et de documentaires exigeants, légers ou émouvants, engagés… et surtout pas marins ! « Ce n’est pas parce qu’on y voit la mer et des bateaux qu’on peut qualifier un film d’insulaire, c’est même le contraire », expliquait Jean-Luc Blain en 2001.

“Les îles sont les dernières gardiennes de la simplicité”, Sylvain Marmugi

« On raconte les gens, et leur vie dans les îles, plutôt que la beauté des paysages touristiques », résume Gilbert Nexer. Ce regard décalé a permis au public de savourer Ma grena’ et moi, pépite de Gilles Elie-dit-Cosaque consacrée à la mémorable Mobylette Motobécane orange commercialisée en Guadeloupe jusqu’au début des années 2000. De découvrir, dans Le Libraire de Belfast, un portrait de la jeunesse nord-irlandaise. De patrouiller, avec Deux Gendarmes dans le Pacifique, aux côtés d’Irwin le Polynésien et Paul le métropolitain, à travers les soixante-seize atolls de l’archipel des Tuamotu — short et mocassins bateau de rigueur. C’est aussi au Fifig qu’en 2011 Mathieu Kassovitz est venu présenter en avant-première son film sur les événements de 1988 sur l’île d’Ouvéa, L’Ordre et la Morale, tandis que le drapeau kanak flottait au côté de l’hermine bretonne. « A chaque traversée — quarante minutes suffisent pour gagner Groix depuis Lorient —, je prends conscience de ce passage entre le continent et le monde insulaire, raconte Sylvain Marmugi, ancien programmateur du festival. Les îles cristallisent tous les problèmes du monde — transport, ravitaillement, accès aux soins… —, et pourtant elles sont les dernières gardiennes d’une certaine simplicité. »
Un Festival “à l’arrache”, mélange de spontanéité, de débrouillardise et de goût pour la fête.

Entre les films en compétition, ceux consacrés à l’île invitée (des Marquises aux îles siciliennes, en passant par Haïti ou Cuba), les projections-débats, la sélection « îles du Ponant », la compétition Jury jeune ou les « coups de projo », de soixante-cinq à quatre-vingts films sont projetés en cinq jours de fête. La programmation revient à deux bénévoles lorientais et à Sarah Farjot, unique salariée du Fifig. Depuis quelques années, une génération de jeunes prend peu à peu le relais des anciens, avec une exigence : ne pas trahir l’esprit du Fifig, qui conjugue l’amour des îles à celui des films, et, surtout, qui consacre cet esprit « à l’arrache », mélange de spontanéité, de débrouillardise et de goût pour la fête. Preuve que ça fonctionne : les soutiens institutionnels se renouvellent (la mairie prévoit même d’importants travaux sur les bâtiments du site de Port-Lay, poumon du festival), et, chaque été, près de deux cents bénévoles de Groix, de Bretagne ou d’ailleurs se mobilisent pour gérer le bar, couper les patates, renseigner les visiteurs, contrôler les billets d’entrée, aménager le camping qui déborde de tentes, héberger des invités dans un bout de jardin ou multiplier les allers-retours pour aller chercher ici un climatiseur, là une friteuse, là-bas un chariot…

Pleine d’idées et d’audace, la nouvelle équipe a décidé de nommer un(e) Groisillon(ne) au jury de la compétition, organise des projections à la prison de Lorient-Ploemeur, veut développer les collaborations avec le Cinéma des familles. Car une salle de cinéma sur un caillou de deux mille trois cents âmes à l’année, c’est un luxe qu’il a fallu préserver ! Depuis juin dernier, la mairie l’a racheté et en a confié la gestion à l’association Cinéf’îles, qui pourrait notamment y projeter, en hiver, les films diffusés pendant le festival. De quoi prouver tout au long de l’année, selon la formule consacrée, que qui voit Groix voit sa joie.

Sophie Rahal Télérama 10/08/19.

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