"Anita, de Groix"

"Dans les temps de tromperie universelle, dire la vérité devient un acte révolutionnaire"

Cousine Mauricette, ma maÎtresse d’école

Publié le 29 février 2012 à 12:24

Hommage de Lucien Gourong

Les souvenirs, fredonne la chanson des feuilles mortes, se ramassent à la pelle. Et les regrets aussi. Tant il est vrai que bien souvent les premiers nous font regretter de ne pas avoir passé plus de temps auprès des êtres qui ont joué un rôle fondamental dans notre vie.
Ce fut le cas de Mauricette Tristant, Mauricette la cousine, Cousine Cécette de Kermario comme nous disions, nous, la parentèle du Bourg, sa tante Mariange, ma grand-mère et ses deux cousines germaines Mariange et Jeanne avec qui, en compagnie de ses deux sœurs Jojo et Mimie, elle avait élevée dans ce bureau de tabacs du Bourg de l’île au cours de ces années bonheur d’après la grande guerre. Mauricette était la dernière des filles. Après la disparition de l’oncle Joseph en avril 1915 lors du torpillage du Léon Gambetta et avant que n’arrive en dernier le petit frère tant espéré, il n’y avait que des filles dans la grande maison du Bourg où elles vivaient toutes ensemble. Les cousines germaines disaient d’ailleurs qu’elles avaient grandi comme des sœurs. C’est ce sentiment d’appartenance à une vraie fratrie familiale que toutes, chacune à sa manière, ont essayé de communiquer, en témoignage de cette dilection familiale créée par l’amour de leur grand-mère Rose, la vénérable aïeule et de leurs mères, inénarrables et inséparables Nainaine Rose et Nainaine Mariange qui s’adoraient sans jamais rater de se faire une ou deux petites vacheries. Comme « ce sors dehors si tu es un homme » lancé par l’une à l’autre alors qu’elles s’étaient chamaillées. On en riait encore longtemps après lors des réunions de famille en se remémorant leurs chicaneries.
Cousine Mauricette a eu un rôle capital, essentiel, fondamental, primordial dans mon existence. C’est elle qui m’a appris à lire à l’école des Frères de Landost à partir du mois de septembre 1949. Moi et tant d’autres, Ronan, Milo, Claude, Joseph, Tudy, Pierre Edmond, pour n’en citer que quelques-uns de cette classe de 11e comme on appelait alors le CP, que je revois en regardant la photo de classe de cette année-là où, sous le portique de la cour, elle pose à côté de nous. Elle a 24 ans. Elle est belle.
C’était la cousine germaine de ma mère, mais c’était aussi ma maîtresse. Entre son statut d’enseignante et celui de membre de la famille, je ne sais toujours pas aujourd’hui lequel avait mes préférences. Mais je me souviens parfaitement que c’était une très bonne maîtresse, une excellente maîtresse même, grâce à qui j’appris à lire et à compter très vite. Elle m’a sûrement transmis le goût d’apprendre, elle m’a inculqué cette curiosité d’esprit sans laquelle le monde vous garde portes closes à l’aventure de la connaissance.
Un souvenir me revient, précis, clair. Chaque lundi matin, elle écrivait en haut du tableau une maxime, un adage, un aphorisme que nous devions apprendre par cœur. Et le retenir, après qu’elle l’eût effacé, durant toute la semaine. J’ai porté toute ma vie, avec la terre des sillons de cette île de la mer collée à mes sabots, quelques-uns de ces proverbes écrits à la craie sur le tableau noir de cette année scolaire-là : A l’impossible nul n’est tenu, A cœur vaillant rien d’impossible, Le mieux est l’ennemi du bien. J’ai fait mien certains de ces préceptes, oublié ceux qui me semblaient d’une morale à bon marché, mais tous m’ont donné à réfléchir. C’est à travers cet enseignement, celui qu’elle m’a dispensé avec une pédagogie naturelle, mais ô combien précieuse, en cette primordiale année pour de jeunes cerveaux qui attendent qu’on leur fasse la tête bien faite plutôt que bien pleine, que j’ai appris à aimer la lecture, l’écriture, le chant – et combien elle chantait magnifiquement, les duos avec sa sœur Mimie étaient incomparables-, la récitation de poésies –une discipline à laquelle elle s’est adonnée toute sa vie-, ces poésies apprises cette année-là et toujours enfouies au fond de ma mémoire comme « Un jour, sur ses longs pieds, allait, je ne sais où,
le héron au long bec emmanché d’un long cou. ». Elle m’a transmis le goût des beaux mots, des jolies phrases, des tournures séduisantes, ce patrimoine littéraire dont j’ai fait le garde-manger de ma vie et où je suis allé puiser ce qu’elle m’avait donné de plus beau : la joie de dire, d’échanger, de communiquer.
Pour cela et bien d’autres choses, je suis heureux d’avoir été et son élève et ce petit cousin qui aimait tant l’écouter égrener ses souvenirs d’enfance au Bourg et à Kermario qui appartiennent aujourd’hui à la mémoire collective de tous ceux et celles qui ont connu et aimé ma maîtresse d’école.
Lucien Gourong
Cimetière de Groix le 28 février 2012
Lors de l’inhumation de Mauricette Tristant, épouse de Georges Adam

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